Les documentaristes d'Afrique centrale face aux diffuseurs

À l'occasion du festival Balabala Ciné, s'est tenu à Kinshasa le Forum des documentaristes d'Afrique centrale.
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Mois de Sortie : 2013
Publié le : 31/07/2013

Balabala ciné (" cinéma de rue " en lingala) est un festival soutenu par l'ambassade de France à Kinshasa depuis cinq ans. Il propose des projections en plein air dans plusieurs quartiers populaires de la métropole congolaise. Au fil des ans, le festival a donné naissance à deux initiatives complémentaires. La première est l'atelier " Kin tout court ", qui a permis la production de deux séries de courts-métrages documentaires en 2012 et 2013 (douze titres au total). La seconde initiative est le forum des documentaristes d'Afrique centrale.
La première édition s'était tenue à Kinshasa en novembre 2012, avec des participants de la République du Congo, du Gabon, de Centrafrique et du Tchad. Cette première rencontre, en présence de Dominique Ollier, coordinateur du programme Africadoc, avait abouti à la naissance de CREADAC, association des documentaristes d'Afrique centrale,  présidée par Louis Vogt Voka, l'organisateur du festival Balabala Ciné.
Pendant l'édition 2013 du festival qui s'est tenue du 22 au 30 juillet dernier, a eu lieu un second Forum des documentaristes organisé par CREADAC. Une quarantaine de professionnels venus des quatre pays déjà cités se sont retrouvés à cette occasion.
 
Financé par l'ambassade de France, le forum a donné lieu à des échanges entre cinéastes et diffuseurs, ainsi qu'à des interventions d'Antoine Yvernault, attaché audiovisuel de l'ambassade de France, Christian Lelong, producteur français et Pierre Barrot, représentant de l'Organisation internationale de la Francophonie. Le principal temps fort de la rencontre a été la confrontation entre réalisateurs/producteurs et diffuseurs. Les directeurs des programmes de deux chaînes privées de la République du Congo (DRTV et MNTV) avaient fait le déplacement de Brazzaville, rejoignant leurs confrères des chaînes kinoises Antenne A, RTNC, CNTV et Télé 50.
La question de la diffusion des documentaires à la télévision a fait l'objet de débats animés. Cyril Danina, du Tchad, a indiqué que dans son pays, toutes les conditions favorables à une relation saine entre producteurs et diffuseurs étaient réunies. Bien que diffuseur unique, la télévision publique tchadienne a l'avantage d'être dotée de moyens importants grâce à un mécanisme de prélèvement sur les recettes de la téléphonie mobile. La télévision a donc, en principe, une politique d'achat pour laquelle elle dispose d'un budget.
 
Pourtant le système peine à fonctionner et Cyril Danina a dû attendre un an entre la vente d'un programme (signature du contrat) et le paiement. Manque de professionnalisme de certains agents, remplacement très fréquent des principaux responsables et absence de réelle autonomie de la télévision semblent être les causes de cette situation : malgré le statut d'office public de la télévision, beaucoup de décisions remontent jusqu'au ministre de la communication, voire plus haut. On comprend pourquoi plusieurs producteurs du Cameroun, du Niger, du Burkina et de Côte d'Ivoire ont dû attendre très longtemps ou n'ont pas reçu le moindre paiement après avoir vendu un de leurs programmes à la télévision tchadienne.
Dans plusieurs autres pays d'Afrique centrale (RDC, Centrafrique et Congo), la situation est à la fois plus simple et plus ardue : aucune télévision n'achète de programmes locaux, faute de budget. Les producteurs locaux sont invités à céder leurs œuvres gratuitement ou, pire, à acheter du temps d'antenne pour leur diffusion.
 
Au Gabon, la réalisatrice Nathalie Pontalier constate que l'IGIS (Institut gabonais de l'image et du son), qui finance la production de documentaires, a le même ministère de tutelle que la télévision publique. Ce qui n'empêche pas une déconnexion entre producteurs et diffuseurs. Son documentaire " Le maréchalat du roi-dieu " n'a pas été diffusé par la télévision. 
Jean-Marie Kasamba, ancien responsable de 3A Télésud et actuellement directeur de la chaîne privée de RDC Télé 50, renvoie la balle aux producteurs. Sa chaîne refuse les programmes dont la qualité technique ou artistique est insuffisante mais elle n'accepte pas non plus " les documentaires tendancieux avec une approche tendant au dénigrement " [du pays]. Sa ligne éditoriale tend à " promouvoir l'image et la culture congolaise ". " Je ne suis pas non plus pour le documentaire " calebasse ", ajoute-t-il.  " On est dans le monde moderne ; on peut parler de la culture du Bandundu sans mettre tout le monde en raphia. " Cela étant dit, il s'étonne de ne pas recevoir de propositions de producteurs congolais. Christian Lelong, directeur de la société de production française Cinédoc[1] constate qu'il manque souvent un maillon de la chaîne en RDC : le producteur. La plupart des membres de CREADAC sont des réalisateurs qui s'autoproduisent, sans forcément avoir une société de production. Le rôle d'intermédiaire entre réalisateurs et diffuseurs, qui revient naturellement au producteur, n'est donc pas assumé.
 
CREADAC se propose donc de jouer un rôle de contact avec les diffuseurs et son président, Louis Vogt Voka suggère d'amener les télévisions à fixer des prix d'achat, même minimes, pour les productions locales. Arsène Kamango, auteur et ancien directeur des programmes d'une chaîne de Lubumbashi, ne croit pas à la possibilité d'obtenir un seul dollar d'une chaîne congolaise. Selon lui, le " bartering " est roi en RDC et les 52 chaînes de télévision de Kinshasa ne sont pas prêtes à investir dans la production. Mais Pierre Barrot fait observer que le bartering a été abandonné en Côte d'Ivoire et que la RTI préfère aujourd'hui acheter ou coproduire ses programmes. Antoine Yvernault signale qu'on observe la même tendance en Afrique de l'est, où le bartering est en recul.
 
Rien n'indique que ce système continuera de sévir indéfiniment en RDC. D'autant que, selon Jean-Marie Kasamba, les autorités de RDC pourraient consacrer jusqu'à 5 millions de dollars à un fonds d'aide aux médias audiovisuels. Quant à Freddy Madimba, réalisateur, il considère que l'avenir est plutôt au développement de chaînes congolaises à péage. On estime que 15 à 20 % des foyers de Kinshasa sont abonnés aux bouquets de Canal ou DSTV. Pourquoi une part de ce marché ne pourrait-elle pas être conquise par des opérateurs congolais ? Le directeur des programmes de DRTV annonce qu'à Brazzaville, sa chaîne a déjà lancé un bouquet de chaînes cryptées qui compte maintenant près de 400 abonnés, lesquels déboursent 10 000 F cfa par mois.
 
Mais si les télévisions parviennent un jour à dégager des moyens pour participer à la production de programmes, il est clair que le documentaire est un genre qui ne peut s'épanouir sans financements publics. Il existe en RDC un Fonds de promotion de la culture mais la réalisatrice Clarisse Muvuba est la seule à en avoir bénéficié, au prix de grandes difficultés (et de prélèvements sur les montants accordés). Mais les participants au Forum des documentaristes ont admis qu'un mécanisme de financement, même imparfait ou dévoyé, valait mieux qu'une absence totale de fonds d'aide. Les producteurs, en s'organisant peuvent, en effet, contribuer à l'amélioration de ce type de mécanisme.
Georges Kabongo, documentariste et réalisateur à la chaîne privée Antenne A résume ainsi les perspectives : " Les producteurs doivent constituer un lobby pour faire changer les choses. "
  Pierre Barrot  
PS :
Les six courts-métrages documentaires produits pendant l'atelier " Kin tout court " de juillet 2013 ont bénéficié de l'encadrement de Louis Vogt Voka pour l'écriture et de Divita Wa Lusala pour la réalisation. Voici leurs titres et leurs auteurs :
" La voix " de Fabrice Kalonji Malabar
" Cassure " d'Anselme Muzalia Wyniè
" Ticket de survie " de Deborah Basa
" Salazo Diazo " de Fiston Faya Litete
" Misela pour la vie " de Freddy Kadima
Et " Ma vie en dépend " de Judith Kalonga.
 

[1] Qui produit, notamment, le prochain long-métrage du burkinabè Michel Zongo.

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