Appel pour la création d'un "Musée de l'Esclavage, de la Colonisation et de l'Outre-Mer dans l'Hôtel de la Marine"

Lancé par un collectif, composé d'historiens, d'une politologue et d'un sociologue,
  • Appel pour la création d'un Musée de l'Esclavage, de la [...]
Genre : Faits de société
Pays principal concerné : Rubrique : Architecture
Mois de Sortie : 2011
Publié le : 27/01/2011
Source : Achac

Un collectif*, composé d'historiens, d'une politologue et d'un sociologue, lance un Appel pour la création d'un "Musée de l'Esclavage, de la Colonisation et de l'Outre-Mer dans l'Hôtel de la Marine", actuellement à "vendre" au plus offrant.

Un des fleurons du patrimoine national, l'Hôtel de la Marine, place de la Concorde est à "vendre" au plus offrant. Dans ce lieu gorgé d'histoire, où fut rédigé le décret d'abolition de l'esclavage de 1848 et conduite notre politique coloniale aux quatre coins du monde, il serait judicieux d'en conserver une partie, à défaut de sa totalité, pour faire œuvre d'histoire. Des historiens ont lancé cette semaine un appel dans Le Monde pour y installer la "Maison de l'histoire de France" voulue par Nicolas Sarkozy. D'autres historiens et chercheurs en appellent ici au ministre de la Culture, au maire de Paris et au président de la Région pour sauvegarder ce patrimoine national et faire entrer le passé colonial dans l'esprit de nos contemporains en installant Place de la Concorde un Musée de l'Esclavage, de la Colonisation et de l'Outre-Mer (MECOM).
La tribune dans Le Monde, daté du 19 janvier 2011, où a été diffusé initialement ce texte collectif (avec le dossier qui l'accompagne dans Le Monde du même jour) a contribué avec d'autres articles et d'autres démarches, à faire que l'appel d'offre soit repoussé au 7 février 2011 et à la création d'une "commission" à la demande du président de la République sur le devenir de l'Hôtel de la Marine (annoncé le jour de la parution de la tribune, dans l'après-midi, lors des vœux au monde de la culture et à l'Education). C'est une première "petite victoire". Nous souhaitons poursuivre cet appel et espérons qu'un maximum de chercheurs, de responsables politiques, de responsables associatifs, d'hommes et femmes de cultures et du monde de l'enseignement puissent le relayer et le diffuser largement auprès des élus (ville et région), du ministère de la culture et de leurs réseaux pour la sauvegarde de l'Hôtel de la Marine et pour la création d'un Musée de l'Esclavage, de la Colonisation et de l'Outre-Mer (MECOM). Car rien n'est "joué", bien au contraire, et le 7 février 2011 doit encore être une date favorable à l'indignation :


"Le 17 janvier 2011 restera une date historique et favorable à l'indignation. Au cœur de Paris, l'Hôtel de la Marine (classé "Monument historique") devait avoir son "repreneur". Un appel d'offre "en urgence" a été lancé par le gouvernement avant les fêtes de fin d'année (consultable sur http://www.budget.gouv.fr/ cessions/hotel_marine/som.htm... mais il faut un mot de passe pour accéder au rapport de la Commission nationale des monuments historiques !), alors que tout le monde était en vacances, l'opération de "bail emphytéotique" a été menée tambours battants (mais le bruit courait depuis mars 2009 d'une vente en urgence comme l'avait révélé La Tribune des Arts, le Figaro et Le Parisien). La République vend ses meubles, et l'affaire ne serait pas grave si ce bâtiment, inauguré en 1774, était sans valeur historique. C'est un lieu d'histoire et de mémoire. Devant la pression, l'appel d'offre est repoussé au 7 février. C'est une bonne chose. Mais rien n'est réglé.

Ce fleuron de notre histoire nationale, au carrefour de l'histoire maritime, de l'histoire de l'esclavage et de l'histoire coloniale, va être transformé en supermarché du luxe par un orfèvre en la matière, Alexandre Allard (dès le 16 mars 2010 Libération donnait déjà le nom de l'heureux gagnant… alors que l'appel d'offre n'était pas encore rédigé…). Certain de récupérer les 25.000 m2 et les 550 salons et pièces de ce Palais de la République, situé place de la Concorde en face de l'Assemblée nationale, avec le soutien de son "conseiller spécial" ancien ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres, l'heureux futur propriétaire prépare déjà une soirée pour fêter son acquisition. Cet hôtel, pour ce champion fortuné du Net (dont l'architecte sera Jean Nouvel), serait son coup de maître après l'achat-revente du Royal-Monceau. Il devra attendre encore quelques jours. Et, avec d'autres sélectionnés (sans doute quatre candidats), il aura 5 mois pour remettre une proposition définitive (pour juillet 2011).

Boutique de luxe, salle de ventes et galeries d'art contemporain et "hôtel" haut de gamme, suites de luxe, sont au programme et feront partie de la proposition envoyée à France Domaine le 7 février 2011 en charge de gérer l'appel d'offre le plus expéditif de la Ve République. D'autres candidats sont sur les rangs, comme cette Maison de la Chine-Europe avec un volet de locatif événementiel et aussi une Cité de la gastronomie (avec l'architecte Jean-Michel Wilmotte). Qu'est ce qui peut expliquer cette urgence du gouvernement alors que l'État-Major de la Marine ne quittera le bâtiment prestigieux qu'en 2014 pour rejoindre le futur Pentagone à la française dans le 15e arrondissement ? On peut se demander en toute légitimité si l'urgence n'est pas dictée par le désir d'éviter un débat public sur ce que pourrait devenir ce bâtiment historique. L'ancien ministre de l'Armée Hervé Morin a rappelé que ce bâtiment "appartient à l'histoire du pays" et plusieurs personnalités ont alerté le ministère de la Culture de son importance majeure. L'actuel ministre de la Défense (Alain Juppé) a affirmé que ce lieu "devait rester un lieu culturel et intellectuel". Certains ont lancé depuis des mois un appel à la sauvegarde du lieu comme l'association Les Amis de l'hôtel de la Marine afin qu'il demeure dans le giron du patrimoine national. Ils n'ont pas été entendus. Des historiens ont demandé le mardi 11 janvier dans un appel dans Le Monde, que soit installée la "Maison de l'histoire de France" si chère au Président de la République dans ce bâtiment, en rappelant les grands faits historiques liés au bâtiment… mais en oubliant au passage le passé lié à l'esclavage et à la colonisation de ce lieu. Curieuse omission pour de grands historiens… Comme si il y avait une "bonne" et ne "mauvaise" histoire de France. Néanmoins, nous partageons leur indignation, et comme eux nous sommes "révulsés" par cette vente à l'encan, mais nous envisageons une autre destination.

C'est bien un lieu d'histoire et de mémoire qui est appelé à disparaître. Là dessus nous sommes tous d'accord. C'est en effet dans ces murs que fut élaboré et signé en 1848, sous le gouvernement de la Deuxième République, le décret d'abolition définitive de l'esclavage dans les colonies françaises, date charnière entre deux épisodes majeurs de l'histoire nationale et de la colonisation : celle de l'esclavage et celle de la colonisation. En outre, c'est dans ce bâtiment, qui fut celui du ministère de la Marine, que furent élaborées et conduites les conquêtes coloniales du Second Empire et de la République. L'Hôtel de la Marine est donc bien un de ces hauts lieux qui offrent à nos contemporains une véritable "leçon" sur l'histoire, comme viennent de le rappeler la plupart des grands journaux français (Marianne, Le Canard enchaîné, Le Monde, Libération…). Ceux qui ont pu accéder aux pièces secrètes du rapport des Monuments historiques confirment que "le projet d'Alexandre Allard est totalement incompatible avec la sauvegarde" du bâtiment et de son mobilier prestigieux (Le Canard enchaîné du 22 décembre 2010). Et pourtant c'est lui qui aurait dû être le 17 janvier prochain l'heureux propriétaire du lieu si l'opinion ne s'était pas alarmée si les intellectuels ne s'étaient pas mobilisés. Il faut donc continuer et demander qu'un grand musée soit créé dans ce bâtiment.

Nous sommes indignés par cette vente à l'encan et nous avons décidé de proposer au futur propriétaire des lieux (Alexandre Allard ou un autre), un "partage" (à défaut de l'intégralité du bâtiment) bien compris entre intérêt personnel et intérêt général. En effet, puisque l'affaire est bouclée (avec le soutien de la Caisse des dépôts et d'un fonds de pension qatarie), faisons la proposition suivante au repreneur. Il risque d'acquérir pour quelques millions d'euros et plusieurs décennies les 25.000 m2 de ces bâtiments sur la place de la Concorde. Il en prends les deux-tiers, et sur les parties les plus inestimables du patrimoine (8.000 m2), il accepte de créer avec le soutien de la Ville de Paris, du ministère de la Culture et de la Région île de France le grand Musée de l'Esclavage, de la Colonisation et de l'Outre-Mer (MECOM) qui manque à la France, pays des musées, de la culture et de l'histoire. Cinquante ans après les indépendances africaines, à la veille des commémorations de la Guerre d'Algérie, alors que la France va entrer dans le 80e anniversaire de son Exposition coloniale de 1931, et qu'elle va fêter les dix ans de la Loi Taubira en cette "Année des Outremers", ce musée porté par la République et installé au cœur de la capitale serait le signe que nous sommes enfin entrés dans le temps du postcolonial en France. Des Musées sur l'histoire de France sont déjà nombreux en France, alors qu'il n'existe aucun musée sur notre passé colonial, un tel acte serait fondateur d'une République capable de regarder toute son histoire.

Nous avons le temps, car les lieux ne vont se libérer qu'en 2014 et les travaux d'aménagement vont prendre au moins trois ans. La création d'un consortium des trois partenaires - Ville-Région, État - donnera la possibilité de réfléchir, aux côtés des chercheurs et des structures concernées, à ce que devrait et pourrait être le MECOM : un véritable lieu de savoirs et de cultures, un espace d'histoire où pourrait aussi se croiser les mémoires, un véritable musée postcolonial dynamique et ouvert au public du monde qui vient visiter Paris et ses musées. Le MECOM offrirait une lecture croisée des récits et des diversités, inscrivant la France dans une approche comparatiste riche et complexe, révélant des échanges millénaires comme ceux induits par la colonisation, et offrant un programme d'expositions dynamiques au grand public. Les collections existent, les publics potentiels nombreux, les mémoires en attente de reconnaissances multiples. Nous disposons au cœur de Paris d'un lieu marqué par la date historique majeure que fut l'abolition de 1848 situé au cœur stratégique de l'ensemble des grands musées parisiens (Louvre, Orsay, Branly). Le cadre est posé et il n'est pas nécessaire d'y installer une "Maison" de l'histoire de France.

Monsieur le ministre, Monsieur le président de Région, Monsieur le maire, faites qu'en 2018 nos concitoyens puissent enfin avoir accès à ce passé dans un des hauts lieux de la République. Nous commémorerons alors le 170e anniversaire de l'abolition de l'esclavage et le 100e anniversaire de la fin de la Grande Guerre où se sont illustrés des milliers de combattants venus des quatre coins du monde… A vous trois, en unifiant vos forces et vos volontés et puisque la vente est repoussée de quelques jours, vous convaincrez "l'heureux propriétaire" de consacrer un peu de son prestigieux palais à l'histoire de notre pays. Il en va de notre histoire, de notre présent et de notre futur."



* Un appel initié par : Pascal Blanchard, Historien, Nicolas Bancel, Historien, Françoise Vergès, Politologue, Catherine Coquery-Vidrovitch, Historienne, Marcel Dorigny, Historien, Pap Ndiaye, Historien, Yvan Gastaut, historien, Gilles Manceron, Historien, Benoît Falaize, Historien, Benjamin Stora, Historien, Esther Benbassa, Historienne, Ahmed Boubeker, Sociologue.

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