Grin

  • Grin
Date de création : 04/05/2007
Genre : Théâtre
Durée : 5
Pays principal concerné : Rubrique : Théâtre

L'origine du " grin " au Mali peut paraître confuse et lointaine, tant il fait partie de la vie quotidienne des populations du nord au sud et même dans la sous région de l'Afrique occidentale.

Le " grin " peut voir son " origine " dans les associations de jeunes (garçons surtout) qui ont à peu prés le même âge et qui ont ensemble subi les mêmes épreuves d'initiation. En effet, la circoncision a toujours regroupé des jeunes gens et devant cette épreuve leur vie de groupe a finalement été modelée. Dans nos sociétés traditionnelles, ces pratiques étaient structurées et tous les enfants d'une même communauté, d'un même village, les passaient ensemble, sous la responsabilité d'hommes chargés d'éduquer, de former, les futurs hommes de la contrée. A l'occasion, il naît entre ces jeunes gens des liens de solidarité, d'entente et de fraternité qui prolongent dans une certaine mesure les mêmes liens qui existent entre eux et leurs parents. On peut voir ici aussi la naissance d'une forme de cousinage à plaisanterie qui a développé une forme de tolérance, permettant ainsi de régler les conflits.

De cette façon, ces jeunes prennent l'habitude de se retrouver et discuter de leurs problèmes, sous la responsabilité d'un chef de groupe. La différence relative d'âge n'a pas tellement d'importance, même si, quelques fois, on peut y faire allusion...

Le " grin " : phénomène de mode en milieu urbain ?

Ces pratiques, que l'on a pu rencontrer également dans les villes, ont été modifiées sous l'effet de l'influence de la cité. Les citadins ont, en effet, été largement et progressivement influencés par des idées nouvelles qui ont donc imposé des habitudes nouvelles. Ainsi la circoncision, en tout cas dans sa forme et pratique ancienne, est en train de disparaître ou a disparu. Mais, avant, l'habitude de se retrouver en un même lieu a fait tâche d'huile et on ne peut plus faire autrement. Si les jeunes garçons ne sont plus soumis à certaines pratiques ancestrales qui pouvaient justifier leur regroupement, beaucoup d'autres occasions, avec la modernisation, ont permis de se retrouver

L'école a été, sans qu'on ne s'en rende compte, le lieu par excellence de regroupement des jeunes garçons, soit pour aller et revenir ensemble, soit pour participer aux mêmes jeux dans la cour, faisant naître ainsi une camaraderie qui s'est allégrement prolongée en dehors de l'école. Le football a été une forme de jeu qui a facilement regroupé les jeunes garçons. En effet, les joueurs d'une équipe se rencontrent le plus souvent en un même lieu avant d'aller au terrain. A l'occasion on se surprend en train de discuter, de se taquiner, de se bagarrer aussi, mais sans rancune, le plus fort faisant toujours régner sa loi sur le plus faible.

On pourrait bien trouver d'autres activités de regroupement des jeunes garçons. Les jeunes filles, au même moment, passent plus de temps auprès de leurs mamans pour apprendre à être de futures femmes. Dans les villages ces phénomènes ont été tardifs. Vers les années 60 et même avant, la naissance et le développement de nouveaux courants musicaux, avec de nouveaux comportements vestimentaires, ont imposé aux jeunes maliens et mêmes africains d'imiter ceux d'Outre mer. Ainsi, on se regroupe pour écouter ces nouvelles sonorités ou encore organiser des soirées dansantes. Des " surnoms " apparaissent partout : Johnny, Jacques, Jagger, Jimmy, James, Otis, Claude ou Clo Clo etc. Le tout se décidant le plus souvent au grin. Dans sa forme actuelle, le grin est un phénomène de ville rythmé par l'évolution des moeurs.

Au grin, pour être " à la page " il fallait, connaître ces vedettes, leurs chansons, être capable de lire les " Salut les copains ", de danser les nouveaux pas de danse, etc. Ces aptitudes étaient indispensables pour se faire aimer des jeunes filles. Le "jeune premier" était donc celui qui parvenait à réunir toutes ces aptitudes.

De plus, il fallait aux jeunes être capable de jouer à la belote, phénomène nouveau qui allait leur permettre de rester plus longtemps ensemble. A l'occasion, " prendre du thé au grin " est devenu un phénomène de mode. En effet, le thé a également été un puissant prétexte de se retrouver. Cette pratique se généralisant, on voyait çà et là, dans les quartiers, aux coins des rues, des regroupements de jeunes garçons, de 15 à 25 ans et plus assis autour du thé et souvent jouant à la belote. Les plus nantis et les plus âgés (c'est relatif) peuvent avoir à côté d'eux un "électrophone " pour écouter James B, Otis R ou encore Pacheco et autres musiciens français, anglo saxons, cubains, africains etc. Ces courants musicaux, par vagues successives, ont modelé les grins et leur fréquentation. Il fallait venir au grin pour les écouter à défaut de les avoir chez soi...

De ces grins est né le phénomène de "club". Les membres du "club" se retrouvaient toujours au grin : lieu où l'on se retrouve le plus souvent, sinon toujours. On a vu également se constituer des grins de filles, mais leur regroupement était moins structuré que celui des hommes. En réalité, à chaque grin d'hommes se couplait un groupe des jeunes filles qui y venaient parce que le copain y était ou simplement parce qu'elles avaient pris goût à cette forme de regroupement.

Ces jeunes qui grandissaient ainsi ensemble, prenaient des habitudes et il n'était pas rare de les voir reconstituer les mêmes regroupements lorsqu'il leur arrivait de se retrouver dans une autre ville pour des raisons diverses (études, vacances...). De cette façon l'influence des autres jeunes gens de cette ville était assurée. L'idée d'aller au grin est un phénomène social qui touche finalement tous les groupes d'âge.


On apprend progressivement à "faire le même grin" même si on n'est pas du même âge. C'est un phénomène de développement de la tolérance et de la "démocratisation" des moeurs. On voit alors çà et là des grins où on peut retrouver des personnes d'âges différents mais aussi et surtout de professions différentes. Les raisons des retrouvailles sont souvent inexpliquées ou peuvent se justifier par le fait qu'on a pris l'habitude de partager des choses en commun, plusieurs fois de suite et depuis très longtemps. On peut alors distinguer des grins de " chômeurs ", des grins de travailleurs, des élèves et autres.

Pour les premiers, on se retrouve à tout moment, car quelqu'un est toujours là pour recevoir les gens. Il n'est pas forcément " le chef de grin ". En effet la pauvreté et le désoeuvrement des années 70 à 80 ont largement contribué à favoriser le phénomène de grin. En fait, certains voient même dans la pauvreté l'origine du grin. Pour les seconds, on se retrouve après le travail et les week end. Ces moments peuvent se prolonger tard dans la nuit. C'est une des raisons de désaccord entre certains couples.


Les lieux de retrouvailles sont le plus souvent les mêmes et les heures sont connues de tous. Cependant, avec l'évolution des mentalités, les occupations des uns et des autres, la mobilité et les fréquents déménagements, dans les villes surtout, on est progressivement passé à une certaine rotation des lieux de regroupement. On en arrive à établir un calendrier de retrouvailles. A l'occasion la famille de celui qui reçoit est mobilisée pour la réception des "invités". Repas copieux, thé et autres boissons seront au menu. Les absents auront tort.

Le grin : lieu de socialisation par excellence

Les membres d'un même grin sont en effet soumis à des règles souvent strictes. Les principes sont acceptés par tous sans distinction. Il arrive que le grin fonctionne sur la base du principe du plus âgé qui tranchera en toute autorité, mais surtout en toute justice, toutes les fois qu'un problème se posera entre les membres du grin. La sentence est applicable selon les règles de la discipline du groupe. Les contrevenants sont sanctionnés par le paiement de sommes variables ou autres. Ces moments qui ressemblent à de véritables "tribunaux sociaux" sont des moyens assez souples mais efficaces de "discipliner" les membres du grin tout en assurant leur socialisation. De cette façon, on apprend à accepter "l'autre" avec ses différences. A l'occasion les principes moraux sont édictés. Le grin devient de ce fait le prolongement de la famille, un résumé de la société.


Lorsqu'un malheur ou un bonheur intervient dans la famille d'un membre du grin, c'est tout le groupe qui est mobilisé pour venir au secours de l'intéressé, d'abord par la présence de tous, mais aussi par l'aide matérielle à apporter. On est moralement gêné lorsqu'on est compté parmi les absents, on doit alors se justifier. En conséquence, les habitudes s'installent, les complicités s'instaurent, les affinités s'établissent et les comportements se modélisent. Cependant, des disparités sont souvent notoires. C'est le phénomène de résistance à l'influence du groupe ou l'anti conformisme primaire. C'est aussi cela la nature humaine et le grin doit faire avec.

Depuis quelque temps, on constate que les membres du grin sont d'origines diverses. On y trouve des jeunes gens de toutes les régions du Mali, de toutes les ethnies et de toutes les catégories sociales. Ce type d'association a permis de cimenter les disparités sociales qui, en principe, devaient opposer ces jeunes gens. Ainsi, au fur et à mesure de l'évolution, le grin est devenu le lieu où on a appris à prendre de moins en moins en considération les statuts sociaux des uns et des autres. Sans les occulter fondamentalement, l'esprit égalitaire des membres du grin a fini par prendre le dessus sur toutes autres considérations. C'est seulement à certaines occasions qu'on y fait référence. Les hommes de caste peuvent y jouer valablement leur rôle social selon qu'ils soient les plus nantis ou pas.

Le grin : lieu de déperdition ?

Les constitutions des grins n'étant pas les mêmes, il n'est pas rare de voir des regroupements de jeunes "délinquants" qui, au delà de se socialiser, se pervertissent et deviennent ainsi des dangers pour la communauté. En apparence ils se regroupent comme les autres, mais les préoccupations ne sont pas les mêmes. Ce sont des bandes organisées de voleurs, de violeurs, de drogués... qui vivent en marge de la société et constituent une menace pour les familles. Ce type de grin est à proscrire, il est constitué de voyous.


La grande pauvreté du pays a largement contribué à amplifier le phénomène de grin de 1970 à 1980 90. Aux jeunes chômeurs citadins sont venus s'ajouter, par vagues successives, des jeunes des campagnes, à la recherche d'emploi. Ces "nouveaux citadins" vont être rapidement engloutis dans les méandres de la vie citadine et très vite ils se surprennent en train de ne plus vouloir retourner à la campagne. Les moeurs sont rapidement bafouées. C'est une perte énorme pour la pérennisation de nos valeurs traditionnelles, assortie du dépeuplement de nos campagnes ;

Le grin : haut lieu de débats

Quelquefois les membres du grin partagent les mêmes idées. Cependant, la constitution hétéroclite du groupe fait apparaître beaucoup disparités dans les idées. Les débats autour du thé sont de puissants moyens d'information. On discute à la fois de sujets qui sont à l'ordre du jour dans la cité et des sujets d'ordre général. C'est l'occasion pour certains de s'informer, de discuter, en apportant souvent la contradiction. En effet, on n'a jamais sur certains sujets les mêmes points de vue. Ces envolées oratoires sont très souvent instructives, surtout lorsque c'est un regroupement de "cadres".

De façon variable, selon le niveau d'information des uns et des autres et selon la constitution du groupe, les discussions sont un moyen de formation et d'instruction. On apprend ainsi beaucoup de choses au contact des autres. Lorsque de grands événements se produisent, (matchs de football, élections, grèves des étudiants...) le grin est le lieu privilégié pour en débattre. Ainsi, à l'occasion des élections, de quelque nature que ce soit, il est fréquent de voir les membres du grin partagés sur la question, chacun soutenant son candidat et essayant de convaincre les autres. En ces occasions, les grins ne désemplissent pas et, selon le degré d'influence de ce groupe, les différents candidats, souvent par personnes interposées, tentent de les recruter à leur compte, moyennant finances bien sûr. C'est donc un lieu de débats politiques, sociaux et sur toute autre question qui touche à la vie de la nation et de la cité.

Le grin : lieu de détente, de réconciliation et de décision

Au delà du fait que c'est un lieu de distraction, le grin est aussi pour certains, notamment les mariés, un lieu où on vient pour oublier les soucis de la vie quotidienne. On y passe plus de temps qu'à la maison, comme pour fuir sa propre réalité. C'est également le lieu où se nouent, en complicité avec les autres (pas tous hélas), des relations sentimentales, les "seconds bureaux, les hors casiers... ". Le plaisir qu'on y prend affecte assez souvent les relations avec la femme légitime, car le secret n'a qu'un temps. On fini par des conflits ou on se surprend en train de se remarier. Cela permet d'expliquer pourquoi nos épouses n'aiment pas les grins, soit qu'elles y aient été conquises ou encore qu'elles finissent par savoir, à cause des indiscrétions, ce qui se passe en ces lieux.


Les maris, sous le prétexte d'aller au grin, mènent de moins en moins une vie normale de famille. Au grin, on oublie les soucis, on partage avec les autres ses préoccupations et on reçoit les conseils appropriés. Cependant, ces conseils peuvent être inappropriés car cela dépend du niveau d'appréciation de son interlocuteur. Il reste néanmoins un haut lieu de réconciliation entre les époux. Certaines femmes utilisent assez bien l'influence que les membres du grin ont sur leurs conjoints pour solliciter leurs interventions afin de résorber le différent qui mine leur foyer.

Aujourd'hui, une autre forme de grin est de se retrouver dans un bar pour boire. Ainsi, certains bars restaurants sont devenus les "chasses gardées" des membres d'un grin. La prolifération de ces milieux et la propension qu'ont les jeunes d'aujourd'hui à boire de l'alcool a quelque peu effrité la composition de certains grins, car tout le monde ne boit pas d'alcool. Même si on continue de voir le grin au sens premier se constituer, de plus en plus les regroupement sont très intéressés. Les affinités se font plus en fonction du pouvoir d'achat de certaines personnes, qui aiment voir autour d'elles des "obligés". Dans ce type de grin le principe égalitaire n'est plus que théorique. Il faut éviter de heurter le "banquier" du groupe. Cela peut cependant arriver.

On voit également, depuis très longtemps, des regroupements de hauts cadres de l'administration publique dans certains centres urbains.

Les membres sont riches de leurs postes de responsabilités et des bénéfices qu'ils en tirent. Autour d'eux gravitent des personnes satellites (hommes et femmes), chacun venant poser son problème. Car, curieusement, au grin, le "chef" est plus détendu, il a plus le temps d'écouter ses interlocuteurs. Là se décident souvent certaines grandes orientations du pays...

Pour conclure, nous estimons que l'histoire des grin au Mali a sûrement influencé les sociétés des pays voisins. Il est intéressant de savoir, dans ces pays, comment ils fonctionnent, comment ils sont structurés et s'ils jouent les mêmes rôles qu'au Mali...

Partenaires

  • Arterial network
  • Media, Sports and Entertainment Group (MSE)
  • Gens de la Caraïbe
  • Groupe 30 Afrique
  • Alliance Française VANUATU
  • PACIFIC ARTS ALLIANCE
  • FURTHER ARTS
  • Zimbabwe : Culture Fund Of Zimbabwe Trust
  • RDC : Groupe TACCEMS
  • Rwanda : Positive Production
  • Togo : Kadam Kadam
  • Niger : ONG Culture Art Humanité
  • Collectif 2004 Images
  • Africultures Burkina-Faso
  • Bénincultures / Editions Plurielles
  • Africiné
  • Afrilivres

Avec le soutien de