Lauréats des Prix Prince Claus 2013

Le Grand Prix Prince Claus attribué au poète égyptien Ahmed Fouad Negm
  • Lauréats des Prix Prince Claus 2013
© Prince Claus fund
Genre : Prix
Pays principal concerné : Rubrique : Histoire/société
Mois de Sortie : Septembre 2013
Publié le : 09/09/2013
Source : Communiqué de presse
http://www.princeclausfund.org/en/news/copy-of-2013-prince-claus-laureates-announced.html
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Compte rendu du Comité des Prix Prince Claus 2013
Mai 2013
Les Prix Prince Claus
Les Prix Prince Claus récompensent des réalisations exceptionnelles dans le domaine de la
culture et du développement. Ces Prix sont attribués chaque année à des personnes
individuelles, des groupes, des organismes ou des institutions dont les actions culturelles ont un
effet positif sur le développement de leurs sociétés.
Pour la Fondation Prince Claus, la culture est un besoin fondamental. Répondant à ce principe
directeur, les Prix Prince Claus attirent l'attention sur d'importantes réalisations dans des
régions où l'expression culturelle, la production créatrice et la préservation du patrimoine
culturel sont confrontées à des moyens et des possibilités limitées.
Procédure
La Fondation Prince Claus invite des spécialistes culturels de son réseau international à nominer
des candidats pour les Prix. Le Bureau de la fondation se charge des recherches et recueille des
seconds externes sur toutes ces nominations.
Le Comité des Prix Prince Claus se réunit deux fois par an pour étudier les informations
concernant les candidats nominés et par la suite présenter ses recommandations au conseil
d'administration de la Fondation Prince Claus.
Chaque année en décembre, le Grand Prix Prince Claus est remis au lauréat au cours
d'une cérémonie qui a lieu au Palais royal à Amsterdam en présence de membres de la famille
royale et d'un public international.
Les dix autres Prix Prince Claus sont remis aux lauréats par les ambassadeurs des PaysBas dans leurs pays respectifs.
Comité des Prix Prince Claus 2013
Bregtje van der Haak (présidente), cinéaste et journaliste, Amsterdam, Pays-Bas.
Rema Hammami, anthropologue culturel, Jérusalem-Est, Palestine.
Salah Hassan, professeur d'histoire de l'art et de culture visuelle d'Afrique, Soudan / Ithaca, USA.
Kettly Mars, écrivain, Port-au-Prince, Haïti.
Ong Keng Sen, producteur de théâtre et directeur artistique, Singapour.
José Roca, curateur, Bogota, Colombie.
Fariba Derakhshani est secrétaire du Comité.
La fondation a reçu au total 117 nominations pour les Prix Prince Claus 2013. Fondée sur les
recherches du bureau de la fondation concernant ces nominations, une pré-liste a été établie
lors de la première réunion du Comité des Prix Prince Claus en décembre 2012. Le Bureau de
la fondation a poursuivi ses recherches de documentation sur cette pré-liste et a recueilli des
avis externes de conseillers et spécialistes indépendants.
Lors d'une seconde réunion en mai 2013, le Comité des Prix a effectué une évaluation
plus approfondie des présélectionnés et établi la liste des 11 lauréats qu'il recommande pour les
Prix Prince Claus 2013. Les recommandations du Comité des Prix ont été présentées au conseil
d'administration de la Fondation Prince Claus le 31 mai 2013.
Programme et critères
Pour la Fondation Prince Claus la culture est un concept large qui englobe toutes les
disciplines intellectuelles et artistiques.
Les Prix Prince Claus sont attribués à des artistes, des intellectuels et des
acteurs culturels en reconnaissance de l'excellence de leur travail et de l'impact de leurs
activités culturelles sur le développement de la société.
Ces prix sont attribués à des personnes individuelles, des groupes et des
organismes établis principalement en Afrique, en Asie, en Amérique latine et dans les Caraïbes.
La qualité du travail est une condition sine qua non pour recevoir un Prix Prince
Claus. Cette qualité est évaluée dans le contexte professionnel et personnel du candidat, et en
fonction des répercussions positives de son travail dans les domaines culturels et sociaux. Les
Prix Prince Claus récompensent des qualités artistiques et intellectuelles, la recherche et
l'innovation, l'audace et la ténacité. Ils visent à apporter un encouragement aux cheminements
qui sont une source d'inspiration et à accroître les effets positifs de l'expression culturelle sur la
société.
L'objectif de la fondation est de soutenir des initiatives culturelles qui stimulent le
développement dans des contextes difficiles et de protéger la culture là où elle est menacée. La
fondation accorde également une grande importance à la création d'interactions entre les
différentes cultures.
Recommandations pour les Prix Prince Claus 2013
Le Grand Prix Prince Claus 2013
Ahmed Fouad Negm
Egypte
Littérature
Le poète Ahmed Fouad Negm (1929, Kafr Abu Negm) est un critique audacieux du monde
social et politique, et l'avocat des pauvres et des exclus. Enraciné dans la culture de la classe
ouvrière locale, Negm est un intellectuel public d'une grande perspicacité. Depuis de
nombreuses décennies, c'est aussi un baladin adulé du public. A la fois figure emblématique et
héros populaire, il jouit d'un grande réputation dans les milieux littéraires pour la qualité, le
lyrisme et la beauté de son œuvre, qu'il s'agisse des chansons d'amour ou des satires radicales
qui transportent l'arabe vernaculaire dans toute sa complexité et dans toutes ses nuances à des
hauteurs poétiques sans précédent. Negm est célébré dans les rues du Caire et dans l'ensemble
du monde arabe pour la voix qu'il donne à l'esprit du mouvement populaire en faveur de la
justice sociale.
Negm puise avec une grande créativité dans la richesse du langage familier : ses rythmes
et ses traditions de chansons, l'invocation et tout particulièrement l'humour. Son œuvre est
l'expression vibrante des préoccupations et des aspirations de la population. Depuis les années
1960, il n'a de cesse de critiquer les régimes et des élites autoritaires qui se succèdent en Egypte
depuis l'époque coloniale britannique. Il met en évidence leur volonté d'opprimer et d'appauvrir
la population, leurs abus de pouvoir, leurs manœuvres intéressées, l'hypocrisie et la corruption.
Utilisant la caricature burlesque, le double-sens, des slogans remaniés, l'imitation satirique et une
virulente ironie, Negm apporte réconfort et encouragement, entretenant ainsi l'espoir face à la
tyrannie.
Libéral et d'une grande ouverture d'esprit, Negm rappelle à son public la diversité
ethnique et religieuse du patrimoine égyptien, ses racines pluralistes et humanistes, et les valeurs
universelles de coexistence sociale et de solidarité de son pays. Dans les années 1970 et 1980,
les spectacles qu'il donnait avec le musicien légendaire Cheikh Imam attiraient beaucoup de
monde en dépit des risques courus par le public et alors que de telles représentations étaient
illégales. Associant la poésie à la musique dans sa forme traditionnelle, Negm diffusait son
message à un public très large y compris des illettrés, et il atteignait les populations dans tout le
Moyen-Orient grâce à des cassettes clandestines. Son message bouleversant est toujours actuel
- beaucoup de jeunes Egyptiens connaissent ses poèmes par cœur, les entonnent dans les rues,
les utilisent dans leurs graffitis et leurs affiches, et les réinterprètent accompagnés de musiques
nouvelles.
La Fondation Prince Claus rend hommage à Ahmed Fouad Negm pour la création d'une
poésie authentique en arabe vernaculaire qui permet une communication en profondeur avec la
population ; pour son indépendance, son intégrité à toute épreuve, son courage et l'exigence de
son engagement dans la lutte pour la liberté et la justice ; pour sa façon de dire la vérité aux
puissants, son refus du silence et la source d'inspiration qu'il représente pour le monde
arabophone depuis plus de trois générations ; pour la beauté et pour la force politique de son
œuvre qui prouve à quel point la culture et l'humour sont indispensables lorsque l'on est
confronté à des circonstances difficiles ; et enfin pour l'influence de son œuvre dans la
reconnaissance du potentiel littéraire du langage familier dans le domaine de la poésie arabe.
Les dix Prix Prince Claus 2013
Christopher Cozier
Trinité-et-Tobago
Arts visuels / Culture et développement
Christopher Cozier (1959, Port of Spain) est un moteur culturel aux multiples talents qui exerce
une profonde influence sur le développement de la culture dans les Caraïbes. Les œuvres
judicieuses et caustiques qu'il crée dans différentes techniques témoignent d'une grande
compréhension du passé et du présent de Trinidad. Cozier soutient et supervise également des
artistes locaux et régionaux. Il bâtit le dialogue avec eux par le biais de l'espace virtuel et leur
offre des possibilités de s'exprimer et de se présenter à l'extérieur.
Cozier a contribué de manière importante (1998-2010) à la revue novatrice Small Axe
jouant ainsi un rôle prédominant dans l'évolution du discours sur l'art contemporain dans les
Caraïbes. Son engagement à la fois comme auteur et éditeur dans le domaine de la recherche et
de la critique a permis le développement du dialogue entre les disciplines universitaires
traditionnelles et le monde du visuel, et aidé le discours local à se libérer des lieux communs et
des stéréotypes.
Depuis plus de 25 ans, Chris Cozier dirige des ateliers d'artistes, organise des échanges
et propose des résidences qui permettent à des artistes locaux de rencontrer des
professionnels d'autres pays. En plus de ses nombreuses activités, il a participé à la création
d'une plateforme d'exposition pour les nouveaux médias. En 2006, il a cofondé Alice Yard, un lieu
informel d'expérimentation artistique, d'échanges et de débats. Installé dans la cour d'une
maison à Port of Spain, ce centre propose des projets d'artistes, des performances, des
événements musicaux, des lectures, des discussions et des présentations de films. C'est
également un local d'habitation pour les artistes de passage, un studio polyvalent, un espace
d'exposition et un lieu de répétition pour de jeunes groupes de musique.
Sa plaidoirie passionnée en faveur de l'art caribéen au niveau mondial s'est manifestée par
sa participation en tant que curateur associé à l'exposition Paramaribo Span (Suriname, 2010) et
à Wrestling with the Image: Caribbean Interventions (Washington, USA, 2011) qui présentait 36
artistes de 14 pays des Caraïbes anglophones, francophones et néerlandophones ; le catalogue
en ligne qu'il a produit à l'occasion de cette dernière exposition a servi d'outil d'enseignement
dans de nombreuses universités. Actuellement, Cozier est également un curateur-conseil de
2014 Satellite au SITE Santa Fe.
La Fondation Prince Claus rend hommage à Christopher Cozier pour son rôle
déterminant et son approche ouverte et inclusive en faveur du développement de l'art et de la
culture à travers les Caraïbes ; pour la générosité et le désintéressement dont il fait preuve en
créant pour les autres des possibilités, en stimulant et accompagnant des générations plus
jeunes ; pour sa détermination dans la défense de la rigueur intellectuelle et du discours critique.
Carla Fernández
Mexique
Design / Patrimoine culturel
Créatrice de mode et historienne de la culture, Carla Fernández (1973, Saltillo Coahuila)
répertorie, préserve et renouvelle le riche patrimoine textile des communautés indigènes du
Mexique, et lui redonne sa pertinence dans le monde d'aujourd'hui.
Combinant une grande passion pour les beaux vêtements et un profond respect pour les
artisans et les communautés qui produisent des tissus traditionnels, Fernández a fondé une
entreprise durable et soucieuse de l'éthique qui comprend un label de mode et un studio mobile
de design : Taller Flora (Atelier Flora). Voyageant à travers le pays, Fernández travaille en étroite
collaboration avec des artisans fileurs, des tisseurs, des brodeurs et des fabricants de vêtements
pour répertorier les techniques et les processus ancestraux tels que le tissage au métier à bras,
la teinture naturelle, les motifs brodés et les structures géométriques, le plissage et le pliage.
Ensuite, travaillant en collaboration, ces artisans adaptent et transforment ces concepts pour
réaliser de remarquables vêtements contemporains.
L'entreprise produit une collection de mode de haute qualité d'un stylisme raffiné,
original et moderne, ainsi qu'une ligne de prêt-à-porter produite industriellement. Elle fabrique
également des vêtements attrayants et pratiques pour les communautés des producteurs, y
compris un denim tissé à la main et teint à l'indigo, très apprécié des jeunes des villages. Son
assortiment d'uniformes scolaires attrayants, confortables et solides pour Oxaca State a
entraîné la réouverture d'usines désaffectées désormais gérées par les employés eux-mêmes, et
conduit à une augmentation des emplois locaux.
Carla Fernández œuvre en faveur des processus de production respectueux de
l'environnement et du développement économique des artisans autochtones et de leurs
communautés. Elle veille à ce que la propriété intellectuelle de ses collègues et employés soient
reconnue et qu'ils soient rémunérés en conséquence. Elle fait connaître sa méthode et sa vision
en tant que designer et anthropologue à travers des entretiens, des expositions et des
publications comme son livre : The Barefoot Designer: A Handbook (le designer aux pieds nus : un
manuel).
La Fondation Prince Claus rend hommage à Carla Fernández pour la création de
superbes vêtements contemporains réalisés en adaptant des techniques et des styles
traditionnels en coopération avec les artisans ; pour sa façon de donner aux communautés la
capacité de décider elles-mêmes, en particulier les femmes, en orientant leurs savoirs et leurs
compétences vers un design moderne ; pour la nouvelle impulsion donnée aux traditions textiles
autochtones du Mexique en établissant des archives détaillées comme un legs durable aux
générations futures ; pour son élaboration d'un modèle éthique de production qui respecte les
droits de propriété des communautés et des personnes autochtones ; et pour sa démonstration
de l'importance du rôle culturel, social et économique du textile et du design pour les pays et
les communautés.
Naiza Khan
Pakistan
Arts visuels
L'artiste visuelle Naiza Khan (1968, Bahâwalpur) est une fine observatrice des grands paradoxes
de la société pakistanaise. Puisant dans ses propres expériences et osant traiter de sujets
litigieux, elle s'intéresse tout particulièrement à la relation entre identité et lieu, et à
l'imbrication du personnel et du politique.
Dans son œuvre forte et homogène, elle se penche ainsi sur la question du genre, en
particulier le corps féminin dans l'espace public, dans un contexte conservateur dominé par les
hommes. Dans Henna Hands (2003), des figures féminines grandeur nature ont été imprimées
sur les murs de lieux publics, par exemple dans le quartier Railway Colony à Karachi, et
l'exposition The Skin She Wears (la peau qu'elle porte, 2008) mettait en avant les contradictions
concernant la sensualité et le contrôle du corps féminin à travers une série de sculptures en
acier galvanisé représentant des vêtements à la frontière entre la lingerie et l'armure.
Dans le vaste projet qu'elle a réalisé sur l'île Manora, Khan a utilisé des éléments
évocateurs, des objets trouvés, des enregistrements, des vidéos, des aquarelles, la cartographie
et la performance pour analyser des comptes rendus divergents sur la question d'un terrain
objet d'un différend. Dans la vidéo Homage (Hommage, 2009), elle se sert des meubles cassés et
des gravas d'une école en démolition pour apporter un commentaire suggestif aux déplacements
forcés, aux expulsions et aux structures de pouvoir qui obligent les gens à partir. Sa récente
série de peintures, Karachi Elegies (2013), traduit l'expérience de vivre et de travailler dans un
paysage urbain déstabilisé par les violences politiques et les désastres naturels.
Véritable catalyseur dans le monde artistique local, Naiza Khan est la fondatrice et
l'ancienne coordinatrice de Vasl, un collectif qui soutient des artistes en proposant des
résidences, des échanges de paroles et des collaborations au niveau régional. Elle partage son
savoir avec des générations plus jeunes et œuvre en faveur de l'art pakistanais, d'une part en
donnant des cours et d'autre part en organisant des expositions telles que The Rising Tide: New
Directions in Art from Pakistan 1990-2010 au musée Mohatta Palace à Karachi (2010).
La Fondation Prince Claus rend hommage à Naiza Khan pour la force de son œuvre qui
offre une vision complexe et nuancée de la société pakistanaise d'aujourd'hui ; pour son courage
dans l'éveil de la conscience publique à des questions sociales et politiques controversées ; pour
le modèle qu'elle représente pour les femmes artistes dans un contexte dominé par les
hommes ; et pour son importante contribution au développement des arts et de la culture au
Pakistan et dans la région.
Lu Guang
Chine
Photographie
Le photographe Lu Guang (1961, Yongkang) étudie les effets de l'industrialisation rapide sur la
vie des hommes dans la Chine aujourd'hui. A travers ses études photo-journalistiques sur des
thèmes tels que l'exploitation des mines de charbon à ciel ouvert, l'épidémie de SRAS, les
communautés vivant au milieu de la pollution, les déchets chimiques et l'eau contaminée, il
témoigne de la souffrance de la terre et de la population, en particulier celle des travailleurs et
des pauvres. Les photographies de Lu Guang sont expressives et intenses du fait d'une utilisation
puissante de la composition et de la couleur. Elles attirent l'attention des spectateurs avec une
telle force qu'elles provoquent leur mobilisation et leurs réactions.
Lu Guang préserve son indépendance en réalisant ses projets avec un modeste budget
financé par sa petite entreprise de laboratoire photo. Lu Guang aborde chaque sujet avec
lenteur et intensité, et réussit ainsi à saisir des moments rares et des images frappantes. Sa série
sur la marée noire à Dalian (2010) comporte des scènes inoubliables comme celles de deux
pompiers luttant désespérément pour survivre dans les eaux huileuses et la mort tragique de
l'un d'entre eux, Zhang Liang.
En rendant visible ce que l'on cache d'habitude, Lu Guang crée un espace public pour
l'étude minutieuse de certaines questions et génère des changements. Partagées sur internet et
donnant lieu à de vifs débats sur le Twitter chinois, ses images ont amené des personnes à agir
et forcé les pouvoirs publics chinois à prendre des mesures en de nombreuses occasions. Ainsi,
un tollé général a suivi la publication des portraits de paysans encouragés à vendre leur sang
pour payer des engrais et qui avaient contracté le virus VIH ou le sida en raison de négligences
de procédure. Cette réaction a eu pour effet d'amener les autorités responsables à fournir aux
paysans contaminés les soins et les traitements qu'on leur avait refusés jusque-là.
La Fondation Prince Claus rend hommage à Lu Guang pour son poignant témoignage
photographique qui dévoile des tragédies humaines cachées et des environnements dévastés ;
pour son utilisation astucieuse de l'art visuel, de récits bouleversants et des médias numériques
dans le but de provoquer une réaction du public et d'obliger les pouvoirs publics à prendre des
mesures curatives ; pour le courage, l'intégrité et l'engagement inébranlable dont il fait preuve
en s'attaquant à des questions sensibles dans un contexte difficile ; et pour la démonstration du
rôle majeur de la photographie comme outil de changement social.
Idrissou Mora-Kpaï
Bénin
Film
Le réalisateur de films documentaires Idrissou Mora-Kpaï (1967, Beroubouay) interroge les
subjectivités africaines contemporaine et propose une alternative à l'image souvent déformée
que les médias occidentaux présentent de l'Afrique. C'est l'un des documentaristes africains les
plus originaux de la dernière décennie. Sa méthodologie est basée sur une recherche rigoureuse
qui dévoile des réalités cachées résultant de la complexité des enchevêtrements entre l'Afrique,
l'Asie et l'Europe à l'époque coloniale. Avec un grand souci d'exactitude, il montre les liens
créés par le colonialisme entre des mondes différents et comment ces liens ont été brisés par la
suite. Les documentaires de Mora-Kpaï révèlent le parcours compliqué de personnes
confrontées aux effets de ces ruptures et leurs tentatives pour les assumer dans leur vie
personnelle et sociale.
L'approche subtile de Mora-Kpaï combine diverses techniques documentaires avec une
esthétique d'une grande sensibilité et un sens aigu de la vulnérabilité et de la dignité. Dans SiGueriki, la reine-mère (2002), le récit d'un retour, le réalisateur fait le portrait intime de ses deux
mères. Le film Arlit, deuxième Paris (2005), d'une grande force cinématographique, traite des
effets de l'extraction d'uranium au Niger : une mise en accusation du pillage des ressources par
des gouvernements extérieurs et des multinationales, pillage effectué dans un mépris total de la
population et de l'environnement. Indochine, Sur les traces d'une mère (2010) s'intéresse aux
descendants de Vietnamiennes et d'Africains enrôlés par la France en Indochine dans la guerre
contre l'indépendance. A la fin du conflit, les enfants ont été séparés de leur mère et envoyés en
Afrique, seuls ou avec leurs pères. Par la suite, ils ont dû faire face à de graves problèmes
d'identité et à des traumatismes psychologiques.
La Fondation Prince Claus rend hommage à Idrissou Mora-Kpaï pour la beauté, la
sensibilité et la profondeur de ses documentaires qui offrent une vision nuancée des identités et
des contextes africains ; pour son engagement dans la recherche documentaire et la narration
visuelle le long des lignes de faille du colonialisme ; pour sa façon de porter au grand jour des
histoires refoulées dont de nombreuses populations subissent le retentissement ; et pour la
démonstration qu'il donne de l'importance de la production culturelle pour rectifier les
conventions sociales et intellectuelles fondées sur des inexactitudes.
Zanele Muholi
Afrique du Sud
Photographie
La photographe et activiste visuelle Zanele Muholi (1972, Umlazi) proclame et célèbre la
diversité de l'identité et de la sexualité humaines. Représentant le corps noir féminin avec
objectivité et conviction, elle fait un portrait intime de l'amour lesbien plein de beauté et de
tendresse, et défend le bonheur des relations entre les êtres avec une énergie radicale et
émancipatrice.
Parallèlement à la production de ces émouvantes images, Muholi travaille au projet Faces
and Phases (en cours depuis 2006), un archivage de la communauté lesbienne, gay, bisexuelle et
transgenre (LGBT) d'Afrique du Sud. Grâce à l'intégrité de Muholi et à ses affinités avec ceux
qu'elle photographie, une grande confiance s'instaure qui permet à ses modèles de s'assumer
davantage publiquement. Muholi se sert des conventions du portrait en noir-et-blanc pour créer
des images dignes qui accentuent le caractère officiel de cette documentation, importante d'un
point de vue historique : elle présente une population restée cachée jusqu'alors. Muholi a
également réalisé plusieurs séries sur les crimes motivés par la haine contre des personnes
LGBT, sur les procès des auteurs et sur les funérailles des victimes.
Opérant avec assurance dans les contextes distincts et souvent inassimilables de l'art
contemporain et du développement social, exposant aussi bien dans la rue que dans des lieux
culturels officiels, Zanele Muholi réussit à atteindre un public large. Elle met en lumière
l'interaction entre les réalités socio-économiques et les identités de genre non-conformistes,
explorant les pouvoirs politiques liés aux classes sociales, aux races, aux genres et aux
sexualités, bouleversant les normes et les stéréotypes. Volontairement didactique, son travail
questionne et mobilise, il accroît l'attention des médias sur les questions LGBT, met en avant le
conservatisme social de la culture et expose avec hardiesse les contradictions qui existent entre
la politique d'Etat sud-africaine progressiste en matière de LGBT et le contexte quotidien de
violence homophobe dans le pays.
La Fondation Prince Claus rend hommage à Zanele Muholi pour la force de ses images qui
défendent et encouragent l'auto-expression et la fierté au sein de la communauté gay ; pour la
meilleure connaissance et la meilleure compréhension générées par son travail sur des questions
sensibles et/ou tabous en Afrique du Sud et au-delà ; pour ses courageuses archives visuelles et
ses actions en faveur des droits des personnes LGBT et la défense de leur présence dans
l'espace public ; pour sa façon de faire de chacun de nous un témoin, et pour l'arme puissante
qu'elle nous tend dans le combat universel contre les discriminations.
Oscar Muñoz
Colombie
Arts visuels
L'artiste visuel Oscar Muñoz (1951, Popayán) utilise des techniques inhabituelles et une grande
sensibilité esthétique pour créer des œuvres fascinantes qui traitent des paradoxes de l'image
humaine et du caractère fragile et éphémère de la perception, de l'identité et de la mémoire. En
30 ans, Muñoz a créé une œuvre remarquable, locale et universelle à la fois. Dans le contexte de
la Colombie, son travail s'interroge sur le rôle des images, de leur production et de leur
consommation dans les médias, montrant une réalité politique qui accepte la violence et la
guerre comme des routines quotidiennes.
Oscar Muñoz expérimente sans cesse avec les méthodes, les supports et la
représentation. Dans Aliento (Respiration) (1995-2002), le visiteur est invité à respirer sur des
miroirs apparemment vierges et le souffle de sa respiration révèle des portraits nécrologiques
rétablissant ainsi passagèrement la présence d'un disparu. Dans la vidéo Re/trato (2004), l'artiste
essaie de dessiner un autoportrait avec de l'eau sur un dallage brûlant mais les lignes s'évaporent
avant qu'il n'ait terminé. Dans d'autres œuvres, des visages imprimés sur l'eau en poussière de
charbon se déforment et disparaissent au fur et à mesure que l'eau s'écoule ; grâce à la vidéo, le
phénomène est parfois inversé et ces visages disparaissent et se reforment alors en boucle.
Figure de proue sur la scène artistique colombienne, Muñoz est cofondateur (2006) et
directeur artistique de Lugar a Dudas (Chambre pour les doutes) à Cali. Cet espace ouvert a
donné un nouveau dynamisme à la culture locale en proposant des archives, une bibliothèque,
des résidences d'artistes et un laboratoire de recherche et d'analyse critique.
La Fondation Prince Claus rend hommage à Oscar Muñoz pour l'originalité. La
profondeur et la poésie de son œuvre qui traite du caractère fugitif de l'existence humaine, de la
mémoire et de l'histoire ; pour son engagement à sensibiliser le public à la fois au pouvoir et à la
fragilité de l'image dans un contexte de violence et de disparitions ; pour sa façon d'élargir le
potentiel des arts visuels en recherchant des moyens accessibles et simples pour transmettre
des idées complexes ; et pour sa générosité en tant qu'intellectuel public, son rôle d'exemple
pour les générations plus jeunes et son soutien au développement de la culture contemporaine.
Orquesta de Instrumentos Reciclados Cateura
Paraguay
Musique
Orquesta de Instrumentos Reciclados Cateura (2006, Cateura) est un jeune orchestre qui
change la vie. Unique en son genre par l'utilisation ingénieuse de modestes moyens locaux, c'est
un véritable rayon d'espoir et de fierté pour la communauté locale. Cateura est bâti au sommet
d'un site d'enfouissement des déchets, à six kilomètres à l'ouest d'Asunción. Plus de 1,5 tonnes
de déchets solides y sont déversés chaque jour. La plupart des familles, enfants compris,
travaillent comme recycleurs pour gagner leur vie. Dans ce contexte difficile, Favio Chávez, un
ancien professeur de musique travaillant comme ingénieur en environnement, a entrepris de
donner des cours de musique aux enfants.
Au départ, les musiciens en herbe jouaient sur des instruments appartenant à Chávez,
mais vu l'augmentation du nombre des élèves, il fallait davantage d'instruments. Les moyens
financiers étant inexistants, Chávez a utilisé des matériaux de rebut pour les transformer en
instruments de musique avec l'aide de la communauté et grâce à l'ingénuité de ses habitants :
des capsules de bouteille sont devenues des clés pour un saxophone, des tuyaux galvanisés des
flûtes, et de vieux bidons des caisses de résonance. Aujourd'hui, les 30 adolescents qui
composent Orquesta de Instrumentos Reciclados Cateura jouent avec fierté du Mozart, de la
musique latino-américaine ou les Beatles sur leurs excellents violoncelles, clarinettes ou
trombones - tous les instruments que l'on trouve dans un orchestre de qualité.
L'orchestre se produit en moyenne une fois par semaine au Paraguay, aussi bien dans des
concerts régionaux que lors de festivals internationaux. Plus de 120 enfants suivent les classes
de musique gratuites et aspirent à entrer dans l'orchestre et de nombreux habitants de Cateura
participent aux activités.
La Fondation Prince Claus rend hommage à Orquesta de Instrumentos Reciclados
Cateura pour la musique et la joie qu'il apporte à un grand nombre de personnes ; pour le
caractère innovant et communautaire de leur collaboration ; pour la création de nouvelles
possibilités et le dépassement de circonstances difficiles en utilisant les moyens disponibles sur
place ; pour l'estime de soi, le sentiment de fierté communautaire et la cohésion sociale qu'il
génère par le biais de l'expression musicale ; pour sa démonstration que la culture est un besoin
fondamental et que la pauvreté matérielle n'est pas forcément un obstacle à une vie
culturellement riche.
Teater Garasi / Institut de performance Garasi
Indonésie
Théâtre / Arts de la performance
Teater Garasi (1993, Yogyakarta) est un laboratoire des arts de la performance créé et dirigé
par un collectif multidisciplinaire d'artistes qui, depuis plus de 20 ans, modernisent le théâtre
indonésien. Le théâtre étant pour eux un processus permanent d'apprentissage créatif aussi bien
pour les spectateurs que pour les artistes et les techniciens, ils entraînent le public à réfléchir
sur des questions sociales, économiques et culturelles.
Le collectif expérimente sans cesse avec de nouvelles formes et de nouvelles idées, tout
en demeurant proche du contexte dans lequel il travaille. Il puise dans des éléments de la culture
locale, telles que les légendes anciennes, la poésie contemporaine, la télévision, les traditions
populaires, la musique rock, les événements historiques et la rue, afin d'explorer la société
indonésienne d'aujourd'hui. La compagnie Teater Garasi travaille en groupe à la production sur
un sujet choisi. Tous les participants - éclairagistes et scénographes, chorégraphes, acteurs,
musiciens, auteurs - collaborent à son développement.
Les productions couvrent un large éventail de genres et de sujets. Cela va d'une pièce
sur des travailleuses invitées, réalisée pour un public de villageois, à un grand théâtre visuel, ou
encore d'œuvres interactives à une comédie musicale pour enfants. Réalisé en trois parties, le
projet épique de quatre ans Waktu Batu (pierre temps, 2001-05) traite du passage de la
mythologie et de l'histoire à la modernité. Je.ja.l.an (la rue, 2008) se penche sur les tactiques
urbaines quotidiennes, et Tubuh Ketiga (le troisième corps, 2010) est un drame dansé qui célèbre
la fusion culturelle.
Intercultural CitySoundScape (2012) est une mise en carte ethnographique de la société
indonésienne à laquelle ont participé des compositeurs, des musiciens, des artistes et des
curateurs de différentes régions du pays. L'espace Garasi à Yogyakarta accueille ce genre de
collaborations et offre un lieu d'hébergement à des professionnels internationaux. Il propose
également des workshops publics, des discussions intergénérationnelles, des archives, une
bibliothèque et des publications, et un programme de tutorat pour les futurs acteurs.
La Fondation Prince Claus rend hommage au collectif Teater Garasi pour son esprit
novateur et son travail de pionnier dans le domaine des arts de la performance en Asie du SudEst ; pour la diversité et l'éclat de l'ensemble de ses audacieuses productions qui offrent des
expériences fortes et des perspectives nouvelles ; pour sa façon de rompre les barrières du
théâtre comme "grand art" en mêlant le moderne et le traditionnel, et en faisant connaître la
performance à un large public ; et pour présenter une image positive du caractère hétérogène et
complexe de la société indonésienne.
Alejandro Zambra
Chili
Littérature
L'écrivain Alejandro Zambra (1975, Santiago du Chili) aborde dans ses romans les dilemmes
existentiels sous-jacents de la vie quotidienne au Chili. Il est l'auteur de trois brefs romans
lyriques d'une profondeur et d'une résonance extraordinaires. Sous l'apparence mondaine de la
surface, avec de subtils jeux de structures et une économie du langage magistrale, il explore ce
que veulent dire amour et confiance, et révèle les effets inexorables du passé sur le présent.
Représentant d'une génération qui était enfant au temps de la dictature, Zambra réfléchit sur
l'appartenance à cette douloureuse histoire.
Bonsaï (2006) raconte l'évolution d'une histoire d'amour ébranlée par les mensonges et les
omissions. La Vida Privada de los Arboles (La Vie privée des arbres, 2007) parle de la mémoire et de
l'anxiété dans une vie de couple et des histoires que les gens se créent. Son dernier roman,
Formas de Volver a Casa (des façons de rentrer chez soi, 2011) est un récit d'une grande intensité
centré sur les relations d'un enfant avec ses parents et ses pairs. Zambra y aborde les lacunes
dans la compréhension, les stratégies de survie sous une dictature, la faiblesse humaine sous
toutes ses formes, la culpabilité, l'échec et l'endurance, et les différentes façons de se souvenir
et d'arriver à accepter passé et présent.
Ces histoires sensibles et difficiles sont racontées d'une manière particulièrement
originale. En utilisant la fiction dans la fiction, la présence de plusieurs narrateurs et des périodes
fluctuantes qui révèlent une révision continuelle des souvenirs et des événements, Zambra crée
des chefs-d'œuvre minimalistes et concentrés d'une étonnante ampleur. Il distille le contenu en
coupant entre les scènes, y insérant des détails précis et poétiques et mêlant banalité et
profondeur. En tant qu'auteur-narrateur, il interrompt constamment son récit avec un naturel
désarmant pour partager ses inquiétudes concernant l'écriture en soi et ainsi nous rappeler que
nous lisons une fiction.
La Fondation Prince Claus rend hommage à Alejandro Zambra pour ses brillants écrits,
innovants et révélateurs ; pour sa fine observation des conséquences sociales et psychologiques
de la dictature ; pour sa façon d'aider les gens à s'interroger sur leurs propres interprétations
ou sur une autre interprétation possible d'un passé difficile et de son impact sur le présent ; et
pour le regain d'intérêt suscité à la fois chez les lecteurs et chez les écrivains pour le roman
comme réceptacle de l'Histoire et source d'auto-développement.

Structures

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